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Dossier Lubrizol

Dossier « Lubrizol : Quelles leçons pour les risques industriels ? »

Le spectaculaire et inquiétant incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, survenu dans la nuit du 25 au 26 septembre dernier, a fait couler beaucoup d’encre. Tous les médias se sont emparés de l’évènement, soit pour traiter de l’accident lui-même, soit pour analyser l’état des risques industriels en France, ce dont ils se préoccupent hélas beaucoup plus

rarement en temps ordinaire.

L’Ecocitoyen déchaîné n’avait pas attendu cet accident pour se pencher sur le sujet, abordant déjà dans son n°3 d’octobre 2018, la question des sites Seveso dans notre agglomération.

L’incendie de Lubrizol et la façon dont il a été géré révèlent cependant de nombreux problèmes et nous avons tous des leçons à en tirer, sans compter l’irruption des sites Seveso haut de Grigny et Ris-Orangis dans cette actualité, dont l’agglomération et les communes concernées, profitant des circonstances, ont réitéré leur demande de déplacement.

C’est pourquoi L’Ecocitoyen déchaîné revient sur le sujet, partant du cas Lubrizol, pour traiter ensuite des implantations Seveso haut les plus sensibles de notre agglomération.

LUBRIZOL, un cas d’école des carences de l’Etat

Une information d’urgence des habitants défaillante

L’alerte sirène a retenti plus de 4 heures après le début de l’incendie, sans doute dans le but de ne pas déclencher trop tôt le Plan Particulier d’Intervention (PPI) qui doit être initié par le préfet dans ce genre de situation. Pendant ce temps, le nuage de fumées toxiques avait eu tout le loisir de se déployer sur plusieurs kilomètres… De plus, la plupart des habitants, malgré les documents officiels publics qui les mentionnent, ne connaissaient pas (ou avaient oublié) les consignes à suivre en cas d’alerte (confinement, pas d’appels téléphoniques, écoute des radios locales, etc.). C’est l’exemple typique d’un manque de culture du risque industriel, entretenu par les services de l’Etat et des collectivités territoriales, qui se conforment à minima aux réglementations en vigueur, sans chercher à former la population aux bons comportements en cas de risques majeurs : information succincte et ponctuelle, très peu d’exercices d’alerte, etc…

Voilà ce qu’on peut lire, entre autres, dans le rapport de l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris), publié le 5 novembre 2019, qui dresse un constat inquiétant concernant l'exposition des populations aux risques industriels : « Les moyens d’alerte sont obsolètes en cas d’accident. Le dispositif d’alerte s’appuie essentiellement sur l’utilisation des sirènes. Or, les sirènes ne sont pas audibles par tous. Et quand bien même elles le sont, les consignes associées à l’émission d’un signal sonore ne sont pas connues ».

Amaris préconise de « réévaluer en profondeur les politiques publiques de prévention et gestion des risques industriels » en France. Cette association regroupe plusieurs dizaines de communes, intercommunalités concernées (aucune de Grand Paris Sud):

http://www.amaris-villes.org/amaris/

 

Une gestion court-termiste de l’accident

 

Dans la situation d’un tel incendie industriel majeur, la préoccupation principale des pouvoirs publics est de mobiliser en urgence les moyens pour éviter la venue de risques létaux (mortels) immédiats pour les personnels d’intervention et pour la population. Le cas Lubrizol montre que cet objectif étant atteint, le traitement des conséquences collatérales de l’accident n’intervient qu’en second rang, dans l’espace et dans le temps, de façon plutôt désordonnée. Concernant les suies, les débris d’amiante, etc., les pouvoirs publics ont largement improvisé. Les points de mesure de l’impact sur la qualité de l’air, de l’eau ont été trop limités. Malgré les propos du préfet, de la Ministre de la santé, etc. se voulant rassurants, de nombreuses questions demeurent : il manque dès maintenant des investigations sanitaires systématiques de long terme sur la population (au vu par exemple d’informations inquiétantes sur la présence d’hydrocarbures dans le lait maternel…).Plus d'un mois après l'incendie, la surveillance sanitaire, mise en place par l'agence nationale Santé publique France, va se poursuivre dans l'agglomération rouennaise et dans la région Hauts-de-France touchées par le panache de fumées, sur la base de prélèvements qui sont trop lacunaires.

Autant les plans d’urgence pilotés par les pouvoirs publics sont plutôt rodés opérationnellement, autant dans les cas comme Lubrizol qui induisent de nombreux impacts diffus à long terme, les dispositifs étendus de mesure, de suivi font défaut pour une protection efficace dans le temps de la population.

Plusieurs plaintes ont été déposées, par des associations locales et nationales, le dossier judiciaire Lubrizol sera très instructif de la façon dont les pouvoirs publics tireront les leçons de cet accident.

 

Un exemple d’action associative : https://www.respire-asso.org/

 

Un allègement dangereux de la réglementation des sites industriels à risque

 

Sous couvert d’allégement des contraintes administratives pesant sur les entreprises, la réglementation des installations classées à fait l’objet de nombreux assouplissements ces dernières années.

Un décret de juin 2018 a autorisé les préfets à ne pas soumettre les « simples » modifications d’exploitation à l’avis de l’autorité environnementale (dite « indépendante »). Lubrizol en a profité pour augmenter ses volumes de produits dangereux, avec dispense d’avis de cette autorité, accordée par le préfet. Par la suite, on a découvert après l’incendie qu’une partie des produits de Lubrizol était stockée dans l’entreprise voisine Normandie Logistique. L’Inspection des sites classés, qui dépend du préfet était sans doute au courant, mais sans conséquences, sans doute pour la bonne cause de la souplesse d’exploitation revendiquée par les industriels. Dans ces conditions, comment connaître avec la précision nécessaire, les volumes, natures et impacts de produits présents sur les sites où se produit un accident (incendie, explosion, fumées toxiques) ? Comment apprécier les effets cocktail des produits dégradés au cours de l’accident ? Ceux qui préconisent un allègement de la réglementation des sites classés sont tout simplement des apprentis sorciers.

Il est très instructif de lire les auditions le 12 novembre dernier de l’ancienne Ministre de l’environnement, Delphine Batho, devant la commission d’enquête sénatoriale sur Lubrizol, pointant les défaillances multiformes de l’Etat en la matière :

 

https://coordinationseveso.files.wordpress.com/2019/11/lubrizol-ce-incendie-auditiond- batho-et-c-lepage-12-novembre-20198628.pdf

 

Voir aussi le communiqué de presse de la Coordination nationale des associations riveraines de sites Seveso (l’Association de Défense de l’Environnement de Sénart, membre de GPSE, en fait partie) :

 

https://coordinationseveso.files.wordpress.com/2019/10/communique-coordination-lessites-seveso-sont-tous-des-lubrizol-10102019.pdf

 

L’Autorité environnementale elle-même n’est pas sans défauts. Présentée comme indépendante, elle est cependant rattachée au plan national au Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), lui-même sous la tutelle du Ministère de la Transition écologique. Cette autorité est représentée dans chaque Région par une Mission régionale de l’autorité environnementale (MRAE), dont les services instructeurs sont tout bonnement les services de l’Etat : Direction  régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), ou Direction Régionale et Interdépartementale de l’environnement et de l’Energie (DRIEE), en Ile-de France.

Mieux encore, au niveau départemental, Autorité environnementale et Inspection des sites classés de la DRIEE ne font qu’un. Ainsi en cas de demande d’autorisation d’exploiter déposée par un industriel, c’est la même personne, le directeur départemental de la DRIEE, qui signe l’avis de « l’autorité environnementale » et le rapport de l’Inspection des sites classés qui établit ses recommandations d’autorisation auprès du préfet. Comme indépendance, on peut mieux faire …

 

Grand Paris Sud touché par le syndrome Lubrizol ?

Des sites Seveso partout ?

 

L’Ile-de-France compte 94 établissements Seveso dont 37 établissements dits seuil haut et 47 dits seuil bas (référencement décembre 2018).

Comme nous l’avions présenté dans L’Ecocitoyen d’octobre 2018 (mis à jour) « le regroupement de 23 communes de l’Essonne et de la Seine-et-Marne dans l’agglomération Grand Paris Sud offre un échantillon très large de la variété et de l’intensité des risques engendrés par l’activité industrielle et logistique. Parmi les plus dangereux, on dénombre 3 sites Seveso haut et 6 sites Seveso bas, sans compter, les sites de moindre importance, non classés Seveso, mais qui peuvent aussi constituer un danger ».

Sites Seveso territoire de Grand Paris Sud

 

 

Commune

Activité

Risque

 

SEVESO HAUT

 

 

Air Liquide

Moissy-Cramayel

Industrie

chimique

Explosion

incendie

CIM

Grigny

hydrocarbures

Explosion

incendie

Antargaz

Ris-Orangis

Gaz liquéfié

Explosion

incendie

 

SEVESO BAS

 

 

AMF QSE (ex

KN*)

Savigny-le-Temple

Entrepôt

Explosion,

incendie

Dentressangle/

XPO

Savigny/Cesson

Entrepôt

Explosion

Incendie

GERILOGISTIC

Moissy-Cramayel

Entrepôt

 

Explosion

Incendie

PROLOGIS Bât.

DC2

Moissy-Cramayel

Entrepôt

Explosion

incendie

UNIVAR

Lieusaint

Entrepôt

Explosion

toxique

ALTIS

Corbeil-Essonnes

Composants

électroniques

toxique

 

 

*Nb : depuis fin 2018, Le site logistique Kuehne-Nagel a été revendu au nouvel exploitant AMF QSE, lequel a renoncé à son classement Seveso haut, au profit d’un classement en Seveso bas. Les locaux sont depuis ce moment propriété d’un fonds d’investissement américain…

 

En conséquence, pour nous, la problématique des risques industriels sur notre territoire ne peut pas être traitée simplement commune par commune, mais doit faire l’objet d’une réflexion sur l’ensemble de l’agglomération.

- Antargaz / CIM à Grigny et Ris-Orangis, faut-il les déplacer ?

Dans le contexte sensible créé par l’accident de Lubrizol, les médias locaux et nationaux ont accordé une place importante à la demande des communes de Grigny et Ris-Orangis de déplacement des deux sites Seveso haut Antargaz et CIM, situés en bord de Seine sur leur territoire. Leur demande a été soutenue par l’agglomération Grand Paris Sud.

Une pétition demandant le départ de ces deux entreprises circule, avec le soutien des municipalités :

 

http://grigny91.fr/2019/10/17/pour-le-depart-des-entreprises-cim-antargaz/

 

Le site d’Antargaz, ouvert en 1964, est le plus important site de stockage de gaz d’Ilede-France, situé en bordure de Seine, de la N 7 et des voies du RER D. Il s’étend sur 3,6 ha. Quant à celui de la CIM, dont la superficie est de 8,5 ha, également présente depuis les années 1960, 1,4 M de m3 d’hydrocarbures y sont envoyés par camions et par rail chaque année.

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Les mêmes collectivités s’étaient déjà manifestées dans ce sens en 2017 (Le Parisien, 25 décembre 2017) : « La délocalisation d’Antargaz à Ris-Orangis et de la Compagnie Industrielle Maritime (CI M), située juste à côté à Grigny. C’est ce que viennent de demander les maires de ces communes, appuyés par le président de l’agglomération Grand Paris Sud, dans un courrier adressé à Nicolas Hulot, ministre de la Transition énergétique et solidaire. Une position commune adoptée à l’occasion du lancement de l’enquête publique sur le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) pour ces deux sites Seveso haut ».

Le gouvernement n’a pas donné suite à cette demande, et Le Plan de prévention des risques technologiques (PPRT), document d’urbanisme fixant les prescriptions autour des sites Seveso haut), a été approuvé par le préfet en avril 2018, sans projet de déménagement des sites incriminés, mais imposant l’expropriation de trois autres entreprises cernées par les deux sites Seveso.

La position des élus n’a pas toujours été aussi radicale. Dans Le Parisien du 31 août 2004, on pouvait lire en effet ceci : « Il est désormais permis de construire à côté de l'usine à gaz. C'est une nouvelle qui a réjoui la mairie de Grigny, un peu moins les associations de défense de l'environnement et les communes de Ris-Orangis, Viry-Châtillon et Draveil. Le préfet vient en effet de prendre un arrêté réduisant les périmètres de risque maximal ; Résultat : le terrain de Plaine-Basse, à Grigny, devient urbanisable Un changement de cap qui ravit la mairie de Grigny. « L'ancien périmètre élargi incitait les industriels à ne pas prendre de mesure pour améliorer la sécurité du site, affirme Claude Vazquez, maire de Grigny. Les recommandations des experts ont donc porté leur fruit et surtout nous permettent enfin de mener de vrais projets commerciaux, bénéfiques pour la commune. ».

Quinze ans plus tard, la loi Bachelot de 2003, ayant institué les PPRT (suite à l’accident AZF à Toulouse en 2001), on constate que l’approche des élus quant aux règles d’urbanisme applicables aux sites Seveso présents s’est nettement durcie, dont acte !

Déplacer un site Seveso, nouvelle version du jeu du Mistigri…

Les dangers présentés par de tels sites industriels Seveso sont patents, dans le cas présent, l’urbanisme aux alentours (y compris commercial) s’est développé, la question du déplacement est donc pertinente. Mais de la position de principe au principe de réalité, il y une grande marge…

Concernant le déplacement du dépôt pétrolier de la CIM, il existe une contrainte incontournable : le nouvel emplacement choisi devrait se situer sur le parcours de l’oléoduc Trapil desservant actuellement la CIM à partir du Havre, comme les autres dépôts de la région parisienne, sans s’éloigner de trop de la zone dense francilienne.

Cela limite beaucoup les nouveaux sites potentiels, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous :

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Pour corser l’affaire, Grigny et Ris-Orangis ne sont pas les premiers sur la liste des dépôts pétroliers franciliens candidats au déplacement : Le départ du site de Vitry sur Seine (donné en exemple par nos élus essonniens) est annoncé depuis un Contrat de développement territorial de 2012, confirmé par un Contrat d’Intérêt National en 2017.

Il existe un projet de regroupement des sites de Vitry, Villeneuve-le-Roi avec les dépôts de carburants d’Orly, sous la responsabilité de l’Etablissement Public d’Aménagement Orly/Rungis/Seine-Amont (EPA Orsa), mais rien ne bouge, cars toutes les communes du secteur d’accueil prévu ne sont pas d’accord, d’autres élus envisagent le déplacement vers GrandPuits en Seine-et-Marne, au milieu des champs de betteraves, qui accueille déjà une raffinerie Total (et quelques habitants expropriés pour la cause), d’où l’intensité du jeu de mistigri…

 

Source bien documentée : https://94.citoyens.com/2019/larlesienne-du-deplacementdes-depots-petroliers-de-vitry-sur-seine-et-villeneuve-le-roi,27-09-2019.html

 

Concernant Antargaz, on pourrait, sous toutes réserves, s’inspirer de l’exemple du site Butagaz de Montereau, qui a décidé en 2012 au cours de la procédure de son PPRT, la délocalisation de ses sphères et de son activité de remplissage sur son site d’Aubignysur-Néré (Coucou les habitants du Cher ! Vous avez le bonjour amical de vos amis franciliens…).

On voit donc bien qu’il ne suffit pas d’exprimer fermement une demande de délocalisation, assortie d’un appel à la fin des véhicules mus par un moteur à explosion, pour régler le problème de la présence de ces sites à risques majeurs près de zones habitées. En attendant la fin des voitures à essence, on fait quoi ?

Au-delà du cas d’espèce d’Antargaz/CIM, d’autres dépôts pétroliers et gaziers franciliens sont dans des situations comparables (Vitry, Gennevilliers, etc.). On ne pourra donc avancer sur ce sujet complexe que par une concertation poussée et des décisions coordonnées au plan régional, avec l’appui de toutes les parties prenantes, Etat, collectivités, exploitants, riverains, associations environnementales…

Une responsabilité spécifique relève de l’agglomération et des communes qui la composent. Ces collectivités territoriales ont en effet la main sur le fléchage du territoire à travers le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) et les Plans locaux d’urbanisme (PLU). Les indications de zonage des PLU communaux sont particulièrement vagues sur la question des risques industriels. Dans la plupart des cas le fléchage des parcelles dédiées aux zones d’activités autorise « toutes sortes d’activités, y compris classées ICPE (Installations Classées Pour l’Environnement) », même quand ces parcelles jouxtent des zones d’habitations.

Dans cette situation, les communes ne peuvent plus s’opposer à l’implantation d’activités autorisées SEVESO puisque le règlement des PLU le permet. L’agglomération Grand Paris Sud serait bien avisée d’intégrer cette question d’urbanisme dans l’élaboration en cours de son SCOT.

 

Cf. remarques et propositions d’associations membres de notre collectif:

https://www.ade-senartetenvirons.com/236+projet-territorial-gps.html

 

 

Date de dernière mise à jour : 29/01/2020