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Evry, un cas d’école ?

1945. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, l’effort de reconstruction était tel que les pouvoir publics se lancèrent dans la création de cités d’urgence avec les grands ensembles qui viendront s’implanter principalement en périphérie des villes. Ils concentreront une grande partie des populations à la recherche d’un emploi et d’un toit.

1964. Vingt ans plus tard, la croissance incontrôlée de la région parisienne a conduit le gouvernement à définir un schéma directeur d’aménagement urbain (SDAURIF) avec la volonté de créer cinq villes nouvelles. Nous étions en 1964. En suivant deux axes tangentiels à la Seine, seront créées Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée et Melun-Sénart sur la rive droite, Saint-Quentin-en-Yvelines et Evry sur la rive gauche.

Ces villes devaient répondre rapidement à l'essor de la région en accueillant chacune entre 350 000 et 400 000 habitants. Les villes nouvelles relevaient le défi en recherchant l’autonomie à travers le regroupement des fonctions : logements, emplois, services, commerces, lieux culturels, équipements sportifs, etc…

1974. « La taille de la ville n’est pas seulement une question de nombre d’habitants mais aussi d’occupation et d’étalement dans l’espace. Il faut éviter de couper la ville en tranches « travail – logements – achats, etc. ». Au-delà d’un certain étalement, il n’y a plus de ville, même si les divers centres d’un « ensemble urbain » apparaissent suffisants et que les distances en temps entre les éléments sont relativement courtes … L’ère des lotissements, des grands ensembles, des villes dortoirs et des cités résidentielles souvent sans vie, est révolue ». Ainsi s’exprimait Emmanuel Besnard-Bernadac, rapporteur de la Commission mixte des villes nouvelles du Comité consultatif économique et social. Nous étions en février 1974 !

Que s’est-il passé depuis pour que les orientations initiales aient été si peu suivies ?

L’Etat en confiant la gestion des villes nouvelles aux élus locaux n’a-t-il pas pris le risque de voir ces ensembles urbains se désorganiser en oubliant le sens premier de leur conception ?

1984. Avec le retrait de Melun, la ville nouvelle de Melun-Sénart deviendra Sénart tout simplement. Et Evry ville nouvelle se recroquevillera sur quatre communes seulement (Evry, Courcouronnes, Lisses et Bondoufle).

17 01

2021. En examinant le cas d’Evry nous pouvons observer plusieurs contradictions.

Le choix du site

L'entêtement à construire une ville sans relief, ignorant délibérément les paysages qui la composent comme la vallée de la Seine et le coteau qui abrite la ville ancienne constitue sans doute l'erreur de départ que personne ne semble vouloir mesurer. L'histoire nous a montré qu'il n'y avait pas de recette miracle. Chaque ville s’édifie en fonction des événements historiques, économiques et sociaux qui l'ont traversée. La ville, c'est de l'histoire solidifiée.

Coupures urbaines et attraction de Paris

L'autoroute A6, la nationale 7, les différents boulevards urbains nécessaires à la circulation automobile ont fractionné le territoire en morceaux de ville indépendants les uns des autres. L'habitant se trouve en présence de véritables coupures urbaines qui accentuent la difficulté à relier les quartiers entre eux. La densité des éléments nécessaires à la vie citadine (commerces en pieds d’immeubles, mixité des usages du bâti, etc…) n’a pas réussi à s’imposer. Par ailleurs, située trop proche du centre de gravité que représente Paris, Evry, comme la plupart des autres villes nouvelles, a abandonné ses ambitions initiales. Elle a perdu son autonomie et est désormais dépendante des réseaux de transport en commun et des axes routiers saturés en quasi permanence.

La mobilité en ville

Il suffit de traverser la ville d’Evry aujourd'hui pour comprendre que le maillage routier n’est plus adapté aux déplacements alternatifs, qu'ils soient piétons, deux-roues, personnes à mobilité réduite (PMR) ou autres. L'absence de traitement de l'espace public ne semblait pas préoccuper les concepteurs de la ville. « Le cadre de vie que nous fabriquions passait au rang des accessoires » comme le soulignera Michel Mottez, urbaniste en chef à l’Etablissement Public de la Ville d’Evry (EPEVRY) dans son ouvrage Carnets de campagne Evry 1967 - 2007. Il reconnaît lui-même que cette stratégie aura pour conséquence d’éloigner les urbanistes du terrain. Le contact avec les habitants est rompu, et justifiera la pauvreté de traitement des espaces publics. Le désintérêt de l’EPEVRY à cet égard, relève essentiellement de motifs économiques par une mauvaise estimation dans les bilans prévisionnels initiaux, sans réajustement par la suite. Parvenir à une mixité sociale en attirant des cadres supérieurs dans ces conditions semble illusoire.

Nous sommes en présence d'une ville fonctionnelle, certainement intelligente mais sans âme.

A la recherche d'un centre

Il n'y a pas de ville sans un centre. A Evry, il trouvera naturellement sa place au croisement des quatre quartiers que dessine le plan général de la cité. C'est là que furent réalisés le centre commercial et l'Agora dont le caractère culturel constitua une nouveauté pour les premiers habitants. Selon toute vraisemblance, les concepteurs n’avaient pas imaginé que, de la diversité des fonctions prévue au départ, il ne resterait, quelques années plus tard, que l’image d’un centre commercial peu structurant.

La relation habitat-emploi

Assurer sept emplois sur dix actifs résidents dans la ville nouvelle est à mettre aussi au nombre des utopies qui germaient dans l’esprit des concepteurs. Comment en effet stabiliser une population qui pour l’époque trouvait naturel de :

- Loger en pavillon éloigné de la capitale pour des raisons économiques ;

- Travailler ailleurs.

Le vaste réseau autoroutier qu’on lui offrait n’était-il pas destiné à permettre cette acrobatie quotidienne ? Comment s’étonner du fossé qui s’établit alors entre les décideurs et ceux à qui l’on destine le projet ? L’Essonne est en grande partie un département rural avec des populations peu adaptées aux spécificités de la ville moderne. On leur propose un projet qui ne répond pas forcément à leurs attentes. Actuellement, plus des deux tiers des actifs quittent la ville quotidiennement pour accéder aux bassins d’emplois.

L’absence de repère

« Raymond Devos habitué du théâtre de l’Agora commençait ses spectacles toujours en retard au motif qu’il n’avait pas trouvé la porte d’entrée » citera encore Michel Mottez dans son ouvrage, ce qui ne manquait pas de déclencher les rires des spectateurs qui avaient vécu en général la même expérience. Imagine-t-on une ville qui offre si peu de lisibilité ? Pas de repère visible, il est incompréhensible que cet aspect ait pu être occulté à ce point

Enfin comment ne pas rester perplexe devant le traitement du « nouveau » centre-ville qui représente un des derniers grands chantiers de la ville, centre qui s’est d’ailleurs déplacé. Au départ, les concepteurs misaient sur le complexe Agora avec gare et dalle attenantes. Avec le temps, il fallut se rendre à l’évidence, Evry ne disposait pas d’une place forte comme nous pouvons en rencontrer dans la plupart des chefs-lieux de même dimension. L’insuffisance de repères vraiment visibles et la nécessité de fabriquer un pôle fort conduisirent à rechercher un lieu plus adapté. L’idée germa de proposer l’actuelle place des Droits de l’homme qui accueille dorénavant mairie, cathédrale, chambre de commerce et d’industrie autour d’un vaste espace minéral. C’est un lieu sans âme. Car contrairement à l’objectif recherché, l’absence de commerces, de bars-terrasses ou restaurants fait cruellement défaut. Aucune vie ne s’y développe spontanément.

Perspectives amères

L’extension du centre commercial entreprise dans les années 2000 constitue sans aucun doute une autre erreur. Ce n’est pas à partir d’une enseigne, aussi prestigieuse soit-elle que l’on peut bâtir un projet. Il s’agit d’une conception purement marchande. L’ouverture du centre commercial sur la ville, s'accompagnant de la disparition des murs périphériques et de l'extension des commerces vers l’extérieur, aurait été préférable en reliant les différentes composantes de la ville : habiter, travailler, commercer, se cultiver, se distraire… ce que nous pourrions traduire par la « mixité des usages » à l’instar de Saint-Quentin-en-Yvelines qui a su se détacher de ce concept à « l’américaine ». Promeneurs et usagers doivent pouvoir cohabiter sur le même espace. Rien n’est pire que cette conception refermée sur elle-même.

17 02

2030. Capitale de l’Essonne mais associée à Sénart par la création de la Communauté d’agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, le défi est nouveau. Il s’agit dorénavant de raccommoder un territoire chahuté depuis trop longtemps et d’imaginer la ville de demain. Le pari est difficile car notre territoire est composé de vingt-trois communes indépendantes qui ne se sont jamais vraiment associées pour travailler sur une cohérence d’ensemble. SCoT, PLUi sont des gros mots pour des élus locaux habitués à produire essentiellement des communes dortoirs. Pourtant, les outils d’aménagement territoriaux existent (loi Alur (Accès au Logement et Urbanisme Rénové) loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) notamment). Mais il faut accepter de repenser l’aménagement à une échelle pertinente, au-delà des limites communales, celle des territoires créés au 1er janvier 2016.

Que de temps perdu !